Au tout début des années 80, Jacques Palpacuer, Victor Zebrouck et Christian Petiot, trois ingénieurs français de Texas Instruments, ont un projet ambitieux: concevoir un micro-ordinateur à la fois performant, novateur et économique. Chacun d'eux a de fortes connaissances dans le domaine: Victor Zebrouck, entré chez Texas Instruments France en 1979, s'est consacré au développement des premiers logiciels destinés au micro-ordinateur familial TI-99/4. Il maîtrise parfaitement le langage GPL cher à TI sur son TI-990 modèle 10. Christian Petiot, est un ingénieur confirmé en Hardware et Jacques Palpacuer n'est autre que le directeur européen des activités grand public de Texas Instruments. Mais la firme texane ne s'intéresse pas à leurs recherches. Ce désintérêt est en grande partie liée aux sérieux problèmes commerciaux qu'elle rencontre avec son micro ordinateur TI-99/4A. Mais cette situation ne décourage pas la jeune équipe qui consacre tout son temps libre et ses économies au développement de leur prototype ainsi qu'à la recherche d'investisseurs. Profitant d'une restructuration au sein de Texas Instruments en 1983, nos trois ingénieurs décident d'en partir et de fonder en aout de la même année leur propre société : Exelvision. Jacques Palpacuer en est le directeur général. Par ses grandes qualités de programmeur, Victor Zebrouck assure tout naturellement la place de chef de projets au sein d'Exelvision. Il écrira de nombreux programmes dont certains sont publiés dans la revue « Exelement Vôtre ». Exelvision compte à ce moment moins de dix employés. Pour donner pleine vie à son projet, Exelvision le propose à des constructeurs français tels que Matra, de se met en quête d'investisseurs. Elle recherche aussi l'appui de banques françaises. Le manque d'intérêt des uns et la frilosité habituelle des autres amènent Exelvision à s'associer au groupe CGCT, le principal fabricant national de téléphones. Exelvision, basée au parc scientifique « Sofia Antipolis » de Nice, compte déjà vingt-sept employés et assure seule la recherche, le développement et le marketing de tous ses produits. La CGCT, qui détient 65% du capital d'Exelvision, n'est responsable que de la production. Exelvision présente EXL 100, son premier micro-ordinateur, lors du Festival Son & Image à Paris en 1984. Puis elle décide de frapper un grand coup en proposant l'ordinateur en pleine période de Noël de la même année. Les bonnes ventes de l'EXL 100 sont prometteuses.
Mais Exelvision rencontre de nombreux problèmes et ni la politique commerciale de la société, ni les produits en sont la cause:
- La CGCT, par la lourdeur de son organisation, ne parvient pas à réagir rapidement aux offres de la concurrence (particulièrement celle d'Amstrad). Pour couronner le tout, les coûts de production de la CGCT sont si élevés qu'ils plombent les résultats d'Exelvision au point de mettre cette dernière dans une situation délicate. Fort heureusement Jacques Palpacuer, alors directeur général d'Exelvision, décide à l'été 1986 de racheter toutes les parts d'Exelvision que détient CGCT. Ainsi majoritaire au sein de sa propre société, il sera libre de prendre toutes les décisions nécessaires au redressement de la situation.
- Les PTT, par manque de réactivité, repousseront sans cesse l'homologation de l'exelmodem, le produit phare d'Exelvision. Cette dernière finira d'ailleurs par le commercialiser sans l'agrément de l'administration publique.
- Les plus grands éditeurs de logiciels éducatifs comme Vifi-Nathan ou Hatier se sont totalement désintéressés d'Exelvision, lui préférant des constructeurs tels que Thomson et Matra/Hachette. La raison officielle annoncée par Michel Motro, alors PDG de Vifi-Nathan, est claire : « Exelvision est mort! ». En fait, Motro est lui aussi un ex-employé de Texas Instruments France. Au sein de cette dernière, Jacques Palpacuer était sous les ordres de Motro. Ce dernier n'accepta pas qu'un de ses employés décide de voler de ses propres ailes pour créer une société très prometteuse comme Exelvision. Heureusement la société Minipuce croit fermement en la société au papillon et commercialisera plusieurs titres éducatifs pour l'EXL 100. L'arrivée de l'EXL-100 est accueillie avec beaucoup de scépticisme par la presse nationale : seul un petit nombre de journaux informatique décident de couvrir l'évènement tel qu'il se doit. A titre d'exemple, seules dix lignes dans un petit encadré du mensuel « Micro7 » du mois de mai lui sont consacrées, SVM, pour sa part, l'ignore quasiment!
- De nombreux magasins refuseront de distribuer EXL 100 pour des raisons essentiellement commerciales: les micro-ordinateurs compatibles MSX, Amstrad et Thomson se vendent déjà bien, ils ne voient pas l'intérêt de proposer un micro-ordinateur de plus à leur catalogue.
Pire encore, Thomson, inquiète de la venue de ce sérieux concurrent, n'hésite pas à faire pression auprès de ses distributeurs, tels que la FNAC, pour empêcher le référencement de l'EXL 100.
L'EXL 100 et l'Exeltel, deux micro-ordinateurs conçus par Exelvision.
Malgré quelques défauts de jeunesse, l'EXL 100 est un sérieux candidat face aux nombreux micro-ordinateurs retenus pour le marché du plan « Informatique Pour Tous » de l'Éducation Nationale (IPT). Ses performances lui donnent de réelles chances de le remporter. Si un « forcing » n'avait pas été fait en hauts lieux, Thomson n'en aurait sûrement jamais été le vainqueur. Palpacuer est stupéfait d'apprendre qu'aucun décideur du plan IPT ne veuille le recevoir lors de l'appel d'offres et qu'aucun n'ait pris la peine d'étudier l'EXL 100. Sans autorisation, il installe quelques exemplaires de son ordinateur dans le local destiné aux responsables du plan IPT. Devant tout ce remue-ménage, ces deniers acceptent qu'on leur fasse la démonstration des possibilités de l'EXL 100. La séance est tellement concluante qu'ils finiront par reconnaître officiellement les qualités de l'EXL 100. Peu de temps après ce coup d'éclat, la société Exelvision reçoit une commande de 9 000 unités provenant de... l'Éducation Nationale! Mais comment lutter face aux 70 000 Thomson MO5 et au 24.000 Thomson TO7-70. Le Centre National de Documentation Pédagogique semble, lui aussi, avoir un parti pris pour Thomson: dans son livre « Informatique pour Tous - Mission aux Technologies Nouvelles » édité pour les équipes d'enseignants, la société Exelvision n'est mentionnée qu'à la toute dernière page, sur à peine vingt lignes... L'EXL 100 équipera certains lycées et plus particulièrement ceux du Sud-Est de la France.
Bien que principalement axés sur le marché français, les responsables commerciaux d'Exelvision décident de faire une percée vers les pays méditerranéens : une version répondant à la norme iso arabe reçoit d'ailleurs l'agrément de la ligue Arabe. L'Espagne s'équipe de 15 000 unités, produites par la société locale Amper et commercialisées par la chaîne de magasins « El Corte Ingles ». Elle accueille même une version espagnole du magazine français « Exelement vôtre ».
Le stand Exelvision au SICOB (Salon des Industries et du COmmerce de Bureau) de 1985.
La fin de l'année 1985 marque le 50.000e EXL 100 vendu. En 1986, la télématique est en pleine explosion dans l'Héxagone et l'Exeltel, second micro-ordinateur de la gamme, arrive à point nommé avec ses nouvelles fonctions incorporées de répondeur téléphonique et de Minitel couleur évolué. Exelbasic+ contient désormais de nouvelles instructions qui faisaient défaut dans la première version. Grâce à une mémoire vive plus importante, la programmation et l'usage de logiciels sérieux dévient maintenant envisageable, facilités par l''apparition d'un vrai clavier mécanique piloté par liaison infrarouge ou par câble. Jacques Palpacuer joue à fond la carte du service. La société propose « Exelquad », un langage de programmation d'applications éducative. La simplicité de son utilisation permet de créer rapidement des outils éducatifs et ludiques. Exelvision innove dans leur mode de distribution: ils sont directement disponibles sur un serveur de téléchargement appelé « QAD » où cinq cent titres sont annoncés. Pour une somme fort réduite, ces outils peuvent être transférés dans un micro-ordinateur Exelvision doté de l'extension télématique avec la possibilité, par exemple, de choisir le niveau et la matière de chaque exercice. L'idée est bonne mais le language associé, Exelquad, est trop lourd et laisse peu d'espace mémoire au développeur pour créer des outils éducatifs élaborés. Le nouveau langage ne sera pas suivi, seuls une vingtaine de titres seront disponibles cette année-là. Lâché par l'un de ses principaux éditeurs, les Éditions Glajean, Exelvision hébergera au final près de deux cent titres sur son serveur.
Exeltel s'améliore et devient polyglotte avec ses deux variations: Exeltel-VS (Version Standard) et Exeltel-VX. Le premier est une version professionnelle d'Exeltel, il dispose d'un Basic entièrement revu donnant accès au mode 80 colonnes et permet la programmation du port série RS-232C, il intègre aussi un mode de traitement de données répondant aux normes ANSI internationales. La version VX supporte de nombreux standards télématiques: PRESTEL , CEPT1 (BTX, IBERTEXT), CEPT2 (TELETEL) et ASCII 80 colonnes.
Malgré tous ses efforts, Exelvision n'arrivera pas à s'imposer, ni sur le marché grand public, ni sur celui de l'Éducation Nationale. Elle se concentrera alors sur les professionnels, proposant des solutions aux centres de contrôle technique et aux pharmacies pour ne citer qu'eux. La société tentera même une percée sur le marché américain avec l'Exeltel // et ira jusqu'à étudier la fabrication d'un compatible PC. Le succès se faisant attendre, Exelvision se retire en 1991.
L'entrée de la technopole Sophia Antipolis (1985)