---En ce vendredi 25 janvier 1985, Mr Laurent Fabius, premier ministre du président François Mitterand, est fier d'annoncer le lancement d'un vaste projet, un plan avant-gardiste, à l'instar des plans technologiques lancés quelques années auparavant comme la connexion des français au réseau téléphonique en un temps records à la fin des années 70 ou l'accès à l'information numérique grâce au déploiement massif du réseau télématique avec le Minitel en tête de pont; deux grands succès encore présents dans la mémoire des français.
Ce nouveau plan, ambitieux, appelé «Plan Informatique pour Tous», vise à initier toute une génération d'écoliers de toutes les couches sociales. Aucun pays ne s'est encore lancé dans une aventure de cette envergure. Pour donner encore plus de dimension à ce projet, les échéances sont courtes, on veut frapper fort: Tout doit être prêt pour la rentrée scolaire de septembre 1985.
Les moyens financiers sont votés: ce sera plus de 2 milliards de francs débloqués pour l'achat de 120.000 micro-ordinateurs et pour la formation de près de 150.000 enseignants qui devront ensuite initier 11 millions d'élèves à l'outil informatique. De cet élan empli de modernisme, s'en suivra une cascade d'erreurs de jugement et de faux pas:
L'heure n'est point à la concertation, encore moins aux appels d'offres. Alors que la lourde charge consistant à analyser les besoins en informatique de l'éducation nationale devait être confiée à un haut responsable informatique, c'est vers l'homme d'affaire Gilbert Trigano, fondateur du «Club Med», que Laurent Fabius se tourne. Il s'en suit des choix où les intérêts économiques et la politique prendront le pas sur l'intérêt des élèves: Exiit des sociétés privées étrangères telles qu'Apple vivement recommandée par Jean-Jacques Servan-Schreiber, ignorées également des entreprises privées française telles que Exelvision (qui devra se battre pour faire partie modestement du plan), Trigano décide de rendre quelques menus services aux constructeurs français nationalisés Thomson, Matra et Bull ainsi que SMT Goupil (déjà en contrat avec l'état); Tous n'étant pas contre une perfusion financière supplémentaire. Rappelons qu'en 1983 Laurent Fabius avait déjà épinglé les sociétés Bull et Thomson, leur demandant de retrouver un équilibre financier en... 1985. Ce nouveau plan IPT annoncé la même année, arrive vraiment à point nommé pour arranger leurs affaires... Etonnant. L'état achètera ainsi massivement les micro-ordinateurs que ces sociétés proposent: des systèmes propriétaires, aux performances faibles et au rapport qualité/prix discutable. L'absence d'Exelvision, une entreprise privée, est la conséquence de ces petits arrangement faits entre «amis». Les quelques 9000 exemplaires d'EXL 100 et Exeltel dont le plan IPT se dote est le résultat de la détermination de Jacques Palpacuer à dénoncer la complaisance gouvernementale au profit d'entreprises nationalisées.
Hormis dans les quelques trop rares ateliers universitaires, les compatibles PC acquis chez Bull, Leanord, SMT Goupil, Matra et Logabax serviront dans l'ombre à la gestion du nanoréseau, ce petit réseau économique fruit de la société Leanord et installés dans certaines écoles pour permettre l'interconnexion entre les micro-ordinateurs choisis dans le cadre du plan IPT. Les élèves se passeront donc de ces PC dont la standardisation n'est plus à douter, comme ils se passeront aussi de micro-ordinateurs révolutionnaires 16/32bits tels que «Macintosh» de la société Apple (Steve Jobs, son patron ira même jusqu'à présenter un projet à François Mittérand), et même du très prometteur Atari 520 ST qui sort au printemps de cette même année. Certes ces derniers sont plus chers mais un tel projet ne méritait-il pas un budget et des choix technologiques à la mesure des enjeux?
Il va sans dire que le corps enseignant est au coeur du Plan Informatique: il aura la lourde tâche de former les élèves aux rudiments de l'usage de l'ordinateur. Sa formation, rémunérée, sera faite un temps record compte tenu des échéances. Alors qu'une attention tout particulière aurait dût être portée à l'encadrement des enseignants, on les forme à la hâte... Au final, même si certains participants se prennent au jeu du PIT, d'autres le perçoivent comme une bête curieuse qu'ils ne maîtrisent pas, et plusieurs le rejetteront en bloc au point de ne jamais vouloir allumer le matériel qui sera mis à la disposition des élèves. Globalement, le plan IPT ne soulève pas l'enthousiasme... ni de l'éducation nationale, ni même celui des média et du public en général.
Les têtes pensantes du plan IPT affichent le programme de rejoissances: Les cours d'initiation à l'informatiques à destination des enseignants puis des élèves s'axeront principalement autours de l'apprentissage de logiciels de programmation tels que le LOGO pour les plus jeunes, ou le BASIC; Le but annoncé étant de leur faire assimiler la logique informatique. Nul doute que ces outils avaient un intérêt mais n'était-il pas plus important de mettre l'accent sur les nouvelles technologie de communications, les nouveaux médias, et l'usage de logiciels de traitement de texte, de gestion de fichiers et tableurs professionnels. Le programme «école» contient également d'autres thèmes tels que l'apprentissage du calcul, de la grammaire et conjugaison ... des matières qui n'ont pas forcément besoin d'un ordinateurs pour être acquises, le professeur s'acquittant déjà parfaitement de cette tâche. Si le but était de se familiariser avec un clavier, il aurait été plus productif de leur donner des cours de dactylographie...
Les logiciels ont une ergonomie et une qualité globalement discutable, et bien en deçà de ce qui se dessine depuis 1984 avec Macintosh ou GEM... Mais peut-on vraiment s'en étonner? Les micro-ordinateurs retenus, Thomson MO5, TO7 et Exelvision EXL 100 (le plus interessant d'entre eux et cependant le plus rare du plan) sont avant tout des micro ordinateurs domestiques. Exelvision propose également son Exeltel , qui se démarque avec ses capacités télématiques remarquables et sa gestion des menus/fenêtres. Il arrive à point nommé pour répondre aux attentes du gouvernement qui a greffé un volet "Télématique" à son plan IPT. Le TO9+ de Thomson, avec son modem intégré, répond également à l'appel mais au final bien peu de classes seront dotées de telles machines. Dommage. Notons également la présence d'EXL100 accompagnés de modems.
Sur le terrain, les fonctionnaires grincent des dents: Quand le matériel télématique arrive dans les classes, ces dernières ne sont pas équipées de prise téléphonique: les seules prises présentes sont installées dans le bureau de la direction ou du secrétariat. Tirer un câble téléphonique jusqu'à la salle informatique tient parfois de l'aventure... si tant est qu'il soit possible de le faire. Dans la majorité des cas, une unique ligne téléphonique existe dans l'établissement et il est difficilement acceptable qu'elle soit utilisée pour le cours de télématique empêchant de ce fait l'administration de faire ou recevoir des appels téléphoniques. L'installation d'une seconde ligne tout comme les frais de communication sont imputées aux mairies qui n'ont pas budgété de telles dépenses... l'Etat se déchargeant totalement de ce genre de frais: il a bien prévu l'achat des appareils télématiques mais pas les coûts de leur fonctionnement. En fait, les budgets sont tellement serrés que la maintenance hors garantie du matériel mis à diposition incombe encore une fois aux communes dotées et certaines ont bien du mal à payer la note. Au bout du compte, de nombreux micro-ordinateurs en panne sont remisés dans l'attente d'une hypothétique réparation. Ces appareils défectueux rejoignent parfois même des appareils neufs: Des professeurs n'ayant pas reçu de formation adaptée à cette nouvelle technologie ne les ont pas déballé...
Devant la médiocrité des résultats, le plan n'est pas reconduit. Le constat est amère: le plan IPT est un gâchis financier et les cadeaux dorés faits aux constructeurs français ne les sauveront pas; il est globalement un échec pédagogique car les écoliers, qui trouvèrent pour un bon nombre l'expérience plutôt amusante, n'en retireront que peu d'enseignements.
Tout est à refaire...ou presque. Les dotations informatiques, tant matérielles que logicielles, qui suivront ce plan seront plus en phase avec le marché informatique mondial.
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Le «Plan Informatique pour Tous» fait suite à de précédentes opérations d'informatisation du système éducatif:
1970 à 1976: 58 lycées sont équipés d'un mini ordinateur et de 8 postes. L'informatique n'est pas encore une discipline, les ordinateurs serviront principalement dans le cadre de clubs d'informatiques organisés par les quelques 550 enseignants qui ont suivi le stage prévu pour l'opération.
1976-1978: L'invention du micro-processeur en 1972, du micro-ordinateur cette même année et l'explosion de la microinformatique chez le grand public bouleversent la vision que l'on avait de l'informatique. L'Éducation nationale se donne un temps de réflexion pour évaluer l'impact futur de ces nouvelles technologies mais aussi pour réviser ses budgets.
1979-1980: Début de l'opération "10.000 micros". Sa mise en place est timide, les responsables de l'enseignement n'ont pas encore évalué la porté de l'opération précédente.
1983: Alain Savary, ministre de l'Éducation nationale, annonce le plan "100.000 micros". Suite à quelques remous au sein du monde éducatif, l'équipement des établissement tarde à se faire.
1985: Lancement du Plan Informatique pour Tous" par Laurent Fabius, premier ministre.
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